Dernier baiser (Christine)
Il me donna un baiser d’adieu et je le vis s’éloigner vers le portail. Je me retournais, offrant mon dos à son dernier regard si regard il y avait, fermant définitivement la porte à quatre années de vie commune. Mes yeux, à force d’avoir pleurés, ressemblaient à ceux d’un lapin atteint de myxomatose.
Je me retrouvais seule dans cette grande maison que je regardais comme si une énorme déhiscence en avait ouvert les murs. Lui et moi, tout cela n’existait plus. Nous étions devenus des antonymes l’un pour l’autre. Tout nous opposait, de la manière de vivre à la façon de penser. Je sortis alors faire un tour dans mon jardin et m’allongeait sur l’herbe fraîche, offrant mon visage à ses caresses.
Je repensais à nos derniers instants. Ses derniers dithyrambes qui n’eurent aucun effet sur moi. Il n’a pas sur m’aimer comme je l’espérais alors qu'à l'instant ou je me détournais, il était capable de me sortir de son chapeau tous les mots et les gestes que j'étais en droit d'attendre depuis quatre ans.
Je me rappelle alors notre promenade dans un sous-bois. Il savait que j’adorais le contact des feuilles mortes et des racines des grands sapins sous mes pas et profita de ces instants de plénitude pour m’asséner un coup bas alors que je pensais à ce type qui m'avait une jour enseigné l'anthroposophie au moment où mon être se rapprochait de cette terre, de son odeur, de ses bruits. Comme une amazone, je faisais corps avec ce qui m’entourait. Un plaisir à nul autre pareil m’envahissait soudainement me sentant toute petite au milieu de ces arbres, de cette verdure bienfaitrice.
Il choisi ce moment pour m’annoncer qu’il aimait une autre femme. Nous étions subitement deux dans sa vie. Je n’étais plus la préférée, celle qui avait le rôle principal. Une envie frénétique de cyphonisme m’envahie soudain. J’aurais apprécié de le voir se faire bouffer par toute la faune de cette forêt. Il me sortit alors toute une ribambelle de mots d’amour qui ressemblaient plus à de la chalcopyrite qu’à de l’or en barre. Rien n’aurait pu m’empêcher de penser qu’il utilisait là un système de taxinomie associée aux mots d’amour, travaillée, étudiée, apprise par cœur comme pour se justifier, se déculpabiliser de cette trahison. Le pauvre ! Il se faisait passer pour une victime alors qu’il était le bourreau.
Mais toutes ces confidences ne mènent à rien, l’histoire s’arrête là je reste avec tous mes rêves dessinés, imaginés sous le bras et je n’ai qu’une seule envie dans l’immédiat, c’est de rester allongée là et ne rien faire. Une terrible envie de farniente m’envahie tout à coup comme si lever le petit doigt devenait une épreuve insurmontable. Mon corps était devenu rigide, prisonnier de ces herbes, sans mouvement possible tant mon esprit était anéanti.
Christine
Mots obligaroires "13 à la douzaine" n° 4