La ligne bleue (obni)
C'était le jour du vernissage. Beaucoup de monde, des coupes qui trinquent, des bulles d'air emprisonné, des regards de soupçons, des cajoleries d'apparence. J'étais anxieux, j'en voulais au monde entier.
"Mais que faisais-je dans cette galère !"
Pour moi, cette soirée était un
ultimatum , le fléau de la balance qui va pencher dans un sens ou dans un
autre.
- Être artiste, c'est être oisif !
Cette phrase
entendue ce soir-là par un falot bourgeois et satisfait, sonna le glas de
mon utopie. Je ne pouvais plus poser mes pas dans ces traces-là ! J'avais
envie de hurler.
Soit j'abandonnais ce labyrinthe du milieu artistique,
soit je poussais plus loin la chimère et je partais très loin de ce monde pour y vivre la béatitude d'une vie contemplative. Tu serais présente.
Toujours. Ma muse de chair. Mon Héloïse.
Était-ce une hérésie ? Non !
C'était au contraire un pléonasme… Je voulais foutre le camp avec toi !
Foutre le camp ! Loin des circuits, de la publicité, des opprobres
imbéciles, et des désirs ambigus d'un monde contraint que je
détestais.
Vivre l'absolution.
Moteur qui vrombit. Ancre qui se lève. Doumo qui étire son
ombre sur la Place Saint Marc. Des pigeons qui volent en brassées.
Embrassée.
Je t'aime.
Un pouls qui palpite. Au moment où j'écris ce
texte, nous observons déjà l'île de Santorin qui se découpe sur l'horizon
frêle. Nous imaginons les textes sur le sable.
Nous partons vivre
l'étreinte indélébile, pour fuir les sybarites, gagner la vertu d'aimer et
de soupirer, de créer loin des discours proculiens des médias, Vivre et
mourir digne.
Au moment de tout quitter j'entends encore mon vieux
professeur de philo :
- Ne cèdes-tu pas au misonéisme d'une
génération lasse de tout ?
- Bah ! Tais-toi-et-chante !
Le vieux
monsieur éclata de rire.
Sur le pont crépusculaire, nous fixions la ligne
bleue et je me mis à danser sur un zeibekiko.