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Autour des mots
21 mai 2007

La Contrescarpe © DINOleGREC

Ghislaine F... (Linda pour les amis) était une très belle française, petite, brune, bien moulue, aux yeux clairs, mais un peu réservée et mystérieuse qui, bien que jeune, voyageait toujours seule, dans le monde.
Mes parents l'avaient connue à San Stéfano (un grand club-restaurant-music-hall) sur la fameuse Corniche d'Alexandrie, au début des années '50. Elle devait avoir vingt ans; un peu plus vieille que ma soeur, Rita, qui se trouvait en vacances chez notre tante Antonia, à  Héliopolis, au Caire (voir mon texte "pyRAMides") et, comme elle lui ressemblait un peu, ils étaient devenus amis et ils avaient fini par lui offrir la chambre de ma soeur chez nous pour ne pas payer d'hôtel pendant le reste de son séjour en Égypte.

À l'époque, je n'avais qu'une dizaine d'années, mais j'étais déjà parfaitement trilingue: grec (accent égyptiote), français (accent levantin), arabe (accent alexandrin), et j'apprenais en plus l'anglais et l'italien.
J'étais taciturne, peu causant, toujours plongé dans des bouquins trop érudits qui n'avaient rien à voir avec mon âge, sans prêter beaucoup d'attention au reste du monde autour de moi. Donc, les souvenirs que j'ai de sa figure à cette époque là sont très vagues.

Dix ans plus tard, à Paris, lorsque je commençais à faire face à la vie, mon père m'avait envoyé l'adresse d'un Anglais, ami à lui depuis la Guerre II, pour passer mes vacances de Noël chez lui à Londres (voir mon texte "Angleterre Beurgghh") et l'adresse de Ghislaine F... (Linda pour les amis), place de la Contrescarpe, à Paris, au cas où j'aurais besoin d'aide et d'orientation. Après ce vain voyage en Angleterre, je m'étais retrouvé de retour à Paris avec très peu d'argent qui ne m'aiderait qu'à survivre quelques jours. Une petite chambre ignoble dans une pension immonde de Montparnasse n'était bonne que pour aller y roupiller et me protéger du froid ... Je m'étais donc dirigé place de la Contrescarpe, content de pouvoir connaître finalement ce fameux endroit fréquenté par Ernest Hemingway et Georges Brassens.

Ghislaine F... (Linda pour les amis) vivait dans deux mansardes contigües, aménagées par le dernier propriétaire en un studio, deux-pièces, absolument sympathique s'il n'était pas surchargé de tout un capharnaüm hétéroclite de meubles, tapis, tableaux, miroirs, bibelots (j'avais même cru reconnaître un Fabergé), crystalleries, argenteries et autres chinoiseries, provenant, sans doute, de ses voyages.

Elle m'avait reconnu tout de suite, bien qu'elle m'avait connu moutard en culottes courtes, dix ans plus tôt; elle était ravie de me revoir. Elle se trouvait maintenant devant un grand jeune homme, mince, beau gosse (modestie à part), châtain clair, avec une moustache en tablier de sapeur et un début de barbiche d'intellectuel. Elle m'a fait entrer et m'asseoir, m'a invité à prendre un petit coup de vin (plus tard j'avais su que c'était, ni plus ni moins, un Château Yquem), en me disant qu'elle serait heureuse de m'aider, en compensation de l'hospitalité que mes parents lui avaient offerte en Égypte. Tout de suite, je m'étais dit in petto que c'était là ma chance pour sortir du merdier financier où je me trouvais. Manque de bol, elle était invitée chez des amis pour le Réveillon de Noël. Mon réveillon à moi fut ce qui deviendrait presque une habitude pour moi, pendant les années que j'allais vivre en France: une baguette, un camembert, un litre de gros rouge et un paquet de Gauloises (voir mon texte "Été 62"), dans ma chambre minable, à écouter les flons-flons du bal qui m'arrivaient de loin de quelque part du boulevard Montparnasse...

Bref, pour en revenir à mon histoire, j'avais revu Linda plusieurs fois. Elle m'invitait souvent à dîner dehors, ou alors chez elle, avec des canapés au foie gras ou au saumon, arrosés de petits vins blancs secs, bien frappés. Nous passions des heures à boire, à fumer, à écouter ses musiques préférées, bizarres, toujours sotto voce, et bavarder de tout et de rien, de futilités, ou alors d'histoire, de géographie et de philosophie. Dans tout ça, je respectais toujours ses habitudes et sa privacité, ses longs silences et son mutisme concernant certaines choses. J'étais toujours très discret et je sentais qu'elle appréciait cette attitude de ma part tout comme nos conversations.

Peu à peu, notre amitié évoluait. Un jour, après avoir bu je ne sais plus combien de "bloody-mary", sur la terrasse d'un bistrot à l'angle de la rue Mouffetard, elle m'avait annoncé sur un air de complicité que nous devions rentrer parce qu'elle avait préparé une petite réunion ...
Une fois chez elle, en attendant ses invités, nous avions continué avec de la vodka pure (faute de jus de tomate). Un peu plus tard, elle me présentait sommairement les 3 amis qui venaient d'arriver et qui m'avaient paru insignifiants. Au début ils avaient un air réservé mais, aprés les premiers petits coups de vodka (avalés en vitesse pour rattraper l'avance que nous avions sur eux), ils paraissaient plus relax; désormais, tout avait l'air normal et c'est là que Linda avait éteint la musique pour annoncer le début de la ... session.

Je dois dire ici que, jusqu'à ce moment, elle ne m'avait jamais parlé des ses dons ésotériques. À l'époque, je savais très peu sur ces choses. Un ou deux livres d'Allan Kardec, que j'avais lu, ne parlaient que de "spiritisme blanc". La théosophie et La Doctrine de la fameuse Yéléna Petrovna Blavatsky, j'allais étudier bien plus tard. Bref, je ne m'attendais pas du tout à l'aventure que j'allais vivre. Je tombais des nues en découvrant petit à petit que Linda était un puissant médium, capable d'incorporer des esprits venus d'autres époques et d'autres pays, qu'à ces moments là elle pouvait parler en d'autres langues étrangères (que, normalement, elle ignorait) et que même sa voix s'adaptait à l'esprit qui la visitait.

Après les préparatifs de profonde concentration qu'elle nous avait demandé et dans le silence absolu qui avait suivi, elle avait commencé à parler, mais elle n'articulait pas trop bien, c'était saccadé, je n'arrivais pas à tout comprendre, je ne savais même pas en quelle langue c'était. Peu à peu, ça devenait plus compréhensible, je commençais à comprendre quelques mots, des bribes de phrases. Plus tard, sa diction s'était encore améliorée ... au détriment de sa voix qui, par moments (et, selon les cas), devenait presque masculine. À un moment donné, elle (ou il?) se fit identifier comme Ramsés II, dans un français bien primitif.  Elle (ou il?) a demandé un crayon et du papier, se mit à dessiner son auto-portrait, suivant une technique  extraordinaire, que je n'avais jamais vue auparavant, noircissant rapidement les endroits où il fallait des ombres, mais le tout sans lignes de contours (!), et avait fini par signer son nom en hiéroglyphes ...

Je ne sais plus si ce fut l'effet de la boisson, de la fumée ou celui de mes propres sens, mais après quelques autres "visites" sans importance, quelqu'un était arrivé en déclarant (dans un accent bien méditerranéen, ou levantin comme celui que j'avais encore à l'époque) qu'il me connaissait en tant qu'intellectuel depuis le siècle dernier, quand nous fréquentions ensemble la cour royale à Tolède en Espagne. À ce moment là, je n'avais pas prêté beaucoup d'attention à ce qu'elle (ou il?) avait dit, mais quelque temps plus tard, suite aussi à certaines déductions, j'avais compris pourquoi, bien que j'habitais la France, j'avais appris, grâce à mon ami espagnol Gerardo, à parler un castillan parfait en deux mois seulement, exactement comme je le maîtrise aujourd'hui, c'est à dire, comme une langue maternelle (voir mon texte "Segovia" et le portrait du poète Gustavo Adolfo Bécquer, "ma" tête). Cela m'a aussi expliqué depuis, pourquoi j'avais toujours senti une telle attraction vers l'Espagne, l'Amérique Latine et tout ce qui s'ensuit, jusqu'au jour d'aujourd'hui. Évidemment, à l'époque je ne savais absolument rien sur des doctrines spiritistes alternatives, comme Wicca, Umbanda, Candomblé et Macumba que -une fois initié- 10 ans plus tard j'allais moi même pratiquer en Bolivie, en Argentine, au Brésil et ailleurs. Mais tout ceci appartient à d'autres chapitres de ma vie.

Cette nuit là, vers l'aube, les amis invités étant partis, j'avais fini par faire l'amour avec Linda, pour la première et dernière fois dans ma vie, comme dans un rêve. Mais, il m'est toujours resté un doute: Est-ce que j'avais fait l'amour vraiment avec Linda, ou était-ce avec quelque autre femme, physiquement morte depuis longtemps, dont l'esprit était venu habiter le corps de mon amie? Hélas, je ne le saurai jamais. Peu de temps après, Ghislaine F... (Linda pour les amis) disparaissait mystérieusement de Paris et de ma vie, sans dire un mot, sans laisser de traces, pour toujours ...
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PS1. Il y a aussi une autre chose que je n'ai jamais sue: Comment  pouvait-elle maintenir ce haut niveau de vie, une jeune femme seule, pratiquement riche? D'où venait son argent? D'un héritage? De quelque travail? Elle ne m'en avait jamais parlé...

PS2. Deux ans plus tard, je me trouvais à Athènes, pour quelques jours, parce que ma soeur attendait un bébé. Étant son unique frère, elle m'avait fait l'honneur de me demander de baptiser la fille qu'elle avait eue. Sans hésiter, j'avais dit "Ghislaine"...

PS3. Cette unique nièce que j'ai eue, Ghislaine G..., je l'ai perdue dans le temps et dans l'espace (comme tous les membres de ma famille d'ailleurs, aujourd'hui morts ou éloignés). Je ne sais plus rien d'elle.

PS4. Tout ceci, peut être de ma faute...

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Commentaires
D
Quand j'ai écrit ce texte, je devais être (à mon tour) dans un état second. En le relisant maintenant sur le Blog, j'ai eu l'impression que c'est quelqu'un d'autre qui l'a écrit. Ce détail de cette histoire est encore plus bizarre que son contenu.<br /> Merci pour ton commentaire, ma vieille. Bises
C
Très beau texte. Il y a des personnes qui traversent ainsi nos vies, presque sur la pointe des pieds et disparaissent aussi soudainement qu'elles sont apparues. Bizarrement ce sont les traces les plus difficiles à effacer parce que tout était encore à faire. <br /> Bises à toi DINO
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