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Autour des mots
5 février 2007

Angleterre ... bêûrrrrghh (DinoLeGrec) ©

rue_de_la_gait_1Décembre 1960
Depuis quelques jours, j'habitais à l'Hôtel Odessa, rue de la Gaîté, à Montparnasse, en bon bohême. Mon père m'avait envoyé, entre autres bricoles, l'adresse d'un ami à lui, un Anglais qu'il avait connu en Égypte pendant la guerre, et 50 dollars pour que j'aille passer les vacances de Noël, 15 jours, chez lui à Londres.

ferry J'avais pris donc le train, Gare du Nord, passé la matinée à Calais Maritime, avec du caoua et des tartines, le tout arrosé de quelques bons vieux calvas "Magloire" (contre le froid), puis pris le transbordeur (à l'époque personne ne disait encore "ferry-boat") pour Folkestone,
Outre-manche, sans problèmes. De là, je pensais prendre le train jusqu'à Londres. À Victoria Station, comme convenu, m'attendrait l'ami de mon père.

folkestone Mais c'est à Folkestone, précisément, que mes problèmes avaient commencé. Dans la salle du Contrôle des Passeports, après les questions de rigueur, alors que tout le monde passait en père peinard, à moi, sans explications, on m'avait demandé d'attendre. Je commençais à me ronger les ongles. Si ça continuait, j'allais louper mon train. Finalement, de la porte du bureau d'à côté, était sorti un officier ... anglais, à n'en plus pouvoir: un type tout à fait carré, blond roux, tirant sur le rouge, portant des culottes courtes et de hautes chaussettes de boy-scout (le tout, couleur caca d’oie, évidemment), avec une moustache en guidon de vélo, style colonisateur des Indes de l'autre siècle et, dans un inénarrable accent britannique, se mit à beugler à la cantonade:


- Where is that fabulous lad? I was told he speaks a bloody good english?(1)

Il m'avait même donné l'impression qu'il attendait exprès afin que les autres fussent sur le train pour continuer à mon endroit:

- I'm told you are on your way to spend a fortnight in London ... I'm afraid you can't.(2)

Là dessus, avec mon meilleur accent anglo-égyptien, que j'avais à l'époque, je lui avais demandé:

- May I ask you why, my dear Sir?(3)

Et lui, imperturbable

- You declared 50 american dollars, my lad. According to british law, this is not enough money to spend a fortnight in England.(4).

Je devenais dingue avec sa monumentale connerie:

- But I won't have to spend any money at all, Sir! I'm invited to spend Christmas Holidays at this gentleman's house, in London! (5)

Je commençais à m'énerver. Je criais presque:

- Here, this is his address! Right now, he must be expecting me at Victoria Station!(6)

Mais, lui, ne voulait rien savoir:

- Sorry, my lad. The law is the law.(7)

Et un moment après, en  regardant ses papiers:

- And you speak a bloody good english ... for a foreigner.(8) 

Puis, en lissant sa moustache, il a continué:

- Nonetheless, you'll have to take the first ship back to where you came from.(9)

Il n'y avait plus rien à faire. Il n'acceptait pas mes explications ni mes réclamations. Je l'avais même menacé d'aller au Consulat Grec. Et, il m'avait répondu ironiquement:

- If you find one, my lad, Okee-Dokee.(10)

J'ai laissé tomber. S'il recommençait à m'appeler "my lad" avec son accent si désespérément britannique, je serais capable de lui foutre mon poing sur la gueule. Le mec m'a accompagné jusqu'au bas de la coupée du bateau, pour être sûr que j'embarquerais. Durant la montée, j'avais déjà préparé ma petite vengeance. L'officier de service m'a demandé:

- Tickets, please. (11)

Je lui ai expliqué que je n'en avais pas et que je n'avais même pas l'intention de payer, précisément parce qu'ils ne me laissaient pas rester en Angleterre sous prétexte que je
n'avais pas assez d'argent. Lui, bien têtu, évidemment, insistait:

- No ticket, no trip. (12)

Après plusieurs tergiversations de part et d'autre, nous sommes descendus trouver le rouquin. Les négociations avaient duré presque une heure. Finalement, après beaucoup de blablabla, j'étais arrivé à m'embarquer ... à l'oeil. En fin de compte, les anglais, je n'en avais rien à branler. Mais, avant de m'en aller, mine de rien, j'avais dit au rouquin:

- Sooner or later, my dear Sir, I'll be back in England.(13)

Un peu plus tard, assis au bar du bateau, en buvant une "Guinness", et bavardant avec le barman -un vieux loup de mer, retraité, qui en avait vu d'autres- j'avais compris quelles auraient pu être les raisons du rouquin: J'étais Grec, né en Égypte, avec un passeport consulaire, plein de tampons et de cachets d'entrée-sortie de divers pays, je parlais un anglais parfait, en plus de mes autres langues ... Quelle en serait la relation? La raison qu'ils m'avaient donnée comme quoi mon argent ne suffisait pas, n'était qu'un prétexte, un subterfuge, un baratin, que quelques pays continuent à utiliser. La vraie relation c'était que, à l'époque, les Anglais avaient des problèmes avec les Grecs à cause des Chypriotes qui demandaient l'union de Chypre avec la Grèce au détriment des occupants Anglais; ils avaient aussi des problèmes avec les Égyptiens (et un peu avec les Français) à cause du Canal de Suez, ils avaient (et continuent à avoir) des problèmes avec tous les étrangers et les langues étrangères en général et, probablement, avec eux mêmes. Peut être m'avaient-ils pris pour un espion (?).

Évidemment, en ce moment là, je ne pouvais pas savoir que 15 ans plus tard et pendant 15 ans après (1975-1990) j'allais faire plusieurs voyages en Angleterre pour mes études et, plus tard, pour des affaires avec mon éditeur Athénien ... mais ça c'est un autre chapitre

DinoLeGrec

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(1) Où est ce fabuleux jeune homme? Je me suis laissé dire qu'il parle foutrement bien l'anglais.
(2) On me dit que vous pensez passer quinze jours à Londres ... Je crains que vous ne pourrez pas.
(3) Puis-je vous demander pourquoi, mon cher monsieur?
(4) Vous avez déclaré 50 dollars américains, mon jeune homme. Selon la loi britannique, ce n'est pas suffisant pour passer 15 jours en Angleterre.
(5) Mais je n'aurai pas besoin d'argent du tout, monsieur! Je suis invité pour les vacances de Noël chez ce monsieur, à Londres!
(6) Voici son adresse! En ce moment, il doit m'attendre à Victoria Station!
(7) Je regrette, mon jeune homme. La loi c'est la loi.
(8) Et vous parlez foutrement bien l'anglais...pour un étranger.
(9) Néanmoins, vous devrez prendre le premier navire et rentrer là d'où vous venez.
(10) Si vous en trouvez un, mon jeune homme, d'accord.
(11) Billets, s'il vous plaît.
(12) Pas de billet, pas de voyage.
(13) Tôt ou tard, mon cher Monsieur, je retournerai en Angleterre.
      

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Commentaires
C
We understand to ;-))
D
I take it, it must not be very funny for the british, but all that is requested here is just a tiny bit of a sense of humour. If not, you're worth it. After all, it's an old story.
C
Bien sûr DINO, j'avais bien intégré le contexte. D'ailleurs je pense que je vais très bientôt aller faire un tour la-bas, je n'y ai jamais mis les pieds et cela ferait une belle occasion de réviser mon anglais scolaire ;-)
D
Pour ne pas généraliser, il nous faut considérer le moment historique, ses répercussions géographiques, ethnologiques, culturelles, etc.
C
Je ne connaissais pas l'Angleterre aussi inhospitalière Dino. J'adore la description que tu fais de cet officier qui t'a renvoyé dans tes pénates. Tu devais être dans une colère noire j'imagine ;-)
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