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Autour des mots
13 janvier 2007

SEGOVIA (DinoleGrec) ©

L'Aqueduc, l'Alcazar, la Cathédrale, la Maison Cándido,  les ... mais, prenons les choses par le début:

J'habitais Paris et je devais travailler pour financer mes études. À travers une annonce à l'Alliance Française,  j'avais trouvé Robert Van de V., un belge (haut fonctionnaire de l'OTAN), qui voulait perfectionner son accent en anglais ... et après, Gerardo Garrido, un Espagnol bizarre qui voulait apprendre des langues (!) Je dis bizarre parce que, d'abord il était fauché et ensuite parce que, malgré ses deux ans de séjour à Paris, il ne parlait que l'espagnol.  En fait, il n'arrivait qu'à prononcer quelques mots indispensables de français, et ceci seulement quand il avait bu. Étant sobre, il ne parlait que son bon vieux castillan. Par contre, il lisait et comprenait parfaitement les journaux français. Un cas d'étude, quoi!

Puisque nous étions devenus amis, nous devions trouver un moyen de communication. Moi, je ne parlais pas l'espagnol. Mais, je le comprenais. Pendant un mois, je mélangeais un peu d'italien dans un français élémentaire et ça allait. Au deuxième mois, je mélangeais beaucoup d'espagnol dans mon charabia. Puis, à la fin du troisième mois, je passais déjà pour un enfant de ... Castille.

Nous étions devenus inséparables. Nous marchions beaucoup. Il habitait Puteaux, j'habitais Montparnasse. Il me racontait l'Espagne; je lui racontais la Grèce. Pleins aux as, nous allions à des boîtes "tsoin-tsoin", draguer des nanas, au théâtre, au cinéma ... Fauchés, nous buvions du gros rouge qui tache, dans les troquets de la Maub', ou de la Mouff'.

Nous fûmes les pionniers de l'échange de vacances: Il m'avait invité passer 3 mois chez son père à Ségovie, contre 3 mois qu'il passerait, après, chez moi à Athènes. En quelque sorte, nous échangeâmes aussi nos respectives ... soeurs. Mais, ça c'est un autre chapitre.

spain_map_segoviaLe 21 Mai, date historique: la Saint Constantin; la défaite de Byzance; mon départ pour l'Espagne (Gerardo, pour des raisons tout à fait personnelles et politiques, était resté).
De la Gare Centrale de Madrid, Atocha, le train jusqu'à Ségovie, à quelques 100 km. Ses deux frères, Antonio et Juan et sa soeur Mari-Carmen, comme convenu, m'attendaient. Au début, ils avaient cru que tout cela n'était qu'une blague: Leur frère leur avait envoyé un Espagnol en racontant des balivernes comme quoi j'étais Grec, parce que, pour eux, le seul Grec en Espagne avait été le peintre crétois Dominique Théotocopoulos, "El Greco", cinq siècles plus tôt (!) J'avais dû leur montrer mon passeport, pour prouver que j'étais bel et bien Grec.

segovia_Aqueduct_tnLa maison se trouvait au No 1, Calle Alamillo, à 100 mètres de l'impressionnant Aqueduc Romain, vieux de 20 siècles qui, selon les natifs, avait fonctionné jusqu'à quelques décennies plus tôt (?).  Pour arriver à la maison, on passait sous l'un de ses énormes porches de quelques 30 mètres de hauteur.

Après les présentations, leur mère Doña Agripina proposa: "Allez visiter les monuments. Le temps que je finisse mon "cocido madrileño", votre père sera de retour ». Mari-Carmen a voulu protester: "Non, maman, laisse-les. Peut être que le Grec veut se reposer."  J'ai dit tout de suite: "No, gracias, Señorita, estoy bien!", mais j'étais déjà devenu "El Griego" (en France, on m'appelait déjà "Le Grec", tout comme actuellement, voilà déjà des années, au Brésil où j'habite, on m'appelle "O Grego"). meson_de_candidoBref, il ne m'avait fallu que 100 mètres dans la rue, avec Antonio et Juan, pour comprendre. Nous avions commencé par le fameux "Mesón de Cándido", au pied de l'Aqueduc. Un très vieux bar-restaurant, plein de meubles lourds et rustiques, dont les murs étaient tapissés de photos de toreros, d'autographes de personnalités du monde entier en visite, de souvenirs, etc., fameux pour son "cochinillo a la brasa". 

Au deuxième apéro j'avais tout compris: Les "monuments" dans le jargon de la famille étaient les ... troquets où on allait prendre l'apéritif. Leur père, Don Valeriano Garrido, étant représentant en boissons, il passait ses journées dans les bistrots à essayer de vendre sa marchandise. Il est sûr que certains de ces établissements, étant vieux de 100 ou 200 ans, feraient des monuments historiques.

catedralsegoviaSur presque 1 Km, de la Calle Real, nous avions visité tous les "monuments" dignes de ce nom,  jusqu'à la Plaza Mayor où se trouvait un vrai monument: La Dama de las Catedrales, une des plus anciennes et imposantes d'Europe Occidentale, d'avant 1500.  Mes deux guides ont commencé par m'expliquer que, à l'origine, une église avait été construite sur un lieu distant de la ville et que, plus tard, à cause d'un incendie, ou d'une guerre, elle avait eu une partie brûlée et que, selon la légende locale, elle avait été ... transportée pierre par pierre (!) jusqu'au centre de la ville où elle avait été reconstruite suivant l'ordre des pierres auparavant numérotées ... Bon, moi je veux bien le croire, mais une douzaine d'apéritifs jusqu'à ce moment là ne garantissait pas la véracité de l'histoire, d'autant plus que (comme j'ai su plus tard) il y avait des saints, des rois et des archevêques enterrés dans des cryptes maçonnées sous le sol pour en faire des hypogées à être vénérées par les futures générations de croyants. N'empêche que son austère style gothique tardif m'avait tout de même impressionné presque autant que les anciens temples grecs de ma terre...

Segovia_Plaza_Mayor2Heureusement, pour rentrer à la maison, la descente de 1 Km était plus facile. Le vieux Don Valeriano, ravi de me connaître, proposa d’ouvrir un "Tinto Riojano" pour fêter l'arrivée de l'ami de son fils expatrié. Le pot-au-feu à la madrilène, bien chaud en ce début de printemps frisquet était tout ce dont j'avais besoin, en plus de ce fameux vin rouge. Vers 6 heures du soir, après la sieste, nous étions retournés à la Grand'Place par d'autres chemins, plus sinueux mais aussi bien jalonnés de"monuments". Heureusement que les apéros arrivaient toujours (selon la coutume) accompagnés de "tapas", ces petits en-cas salés, pour tromper l'estomac. Depuis lors, au petit matin, à la maison, Doña Agripina nous laissait, en guise de souper froid, une salade et du fromage, ou des "tortillas españolas", ces délicieuses omelettes campagnardes qui font presque un repas entier.

chocolate_con_churrosDes fois, très tard dans la nuit, la faim nous torturait et ne nous laissait pas attendre jusqu'au retour à la maison; on attaquait les petits chariots des camelots qui vendaient des "churros al chocolate" (espèce de beignets tout croustillants avec du chocolat liquide dessus) ou, alors, encore plus tard, à l'aube, nous allions dans les derniers bistrots ouverts -ou les premiers qui ouvraient- pour prendre un "caldo de gallina y picatostes" (bouillon de poule aux croûtons) et, évidemment, nous profitions pour boire "el penúltimo", c'est à dire, "l'avant-dernier" (les Espagnols ne disent jamais "boire le dernier", parce que le "dernier" se boit uniquement avant de mourir).

alcazarParmi les premiers amis que je m'étais faits, il y avait le professeur Agustín Herrero, d'un niveau assez élevé, ce qui facilitait l'échange de points de vue. Je connaissais déjà l'histoire de l'Alcazar, le palais où les Rois Catholiques, Ferdinand et Isabelle (oui, ceux-là mêmes qui avaient financé les voyages de Christophe Colomb) avaient célébré leurs noces, où ils passaient leurs vacances en été, vers les années 1500, sur cette immense terrasse triangulaire, pointue qui, vue depuis la vieille auberge au pied de l'énorme construction, donnait l'impression d'une proue de caravelle, en pleine mer, alors que  c'était la confluence de deux fleuves, le Rio Eresma et le Rio Clamores ...

Vera_Cruz_SegoviaCe que je ne connaissais pas c'était une construction circulaire, en pierre blanchâtre, sans fenêtres, bien loin dans la plaine, qu'il me montra du haut de l'Alcazar, lors de notre première visite, en me demandant: "Sabes qué es?"  Comme je n'avais jamais vu un édifice pareil, il a continué: "Es la Antigua Torre de la Vera Cruz. No conoces los Templarios?"  Alors là, évidemment, j'en avais lu l'histoire: les Croisés, les Chevaliers du Temple de Jérusalem, de Saint Jean de Malte et de leur Grand Maître Villehardouin, à Rhodes, les Templiers ... qui, 2-3 siècles après leur condamnation sous le Pape Clément et le roi Philippe le Bel, ils s'étaient incorporés à un très haut degré de la Franc-Maçonnerie, tout comme  les Rose-Croix ... (sans pouvoir m'imaginer que, une quinzaine d'années plus tard, moi même j'en ferais partie). Mais, à l'époque, je n'en avais qu'une notion floue et lexicographique.  J'avais même visité le Carré du Temple à Paris, mais ça n'avait rien à voir. Le prof avait même commencé à me parler de ... Opus Dei, insinuant que notre ami Gerardo, républicain et socialiste, fuyait l'Espagne à cause du dictateur Franco et de cette secte fanatique.  gustavo_adolfo_becquerIl m'avait aussi parlé d'un de ses poètes favoris du début du XIXe siècle: Gustavo Adolfo Bécquer, absolument surpris de voir que j'avais la tête même du poète. Jusqu'au jour où il m'a montré son portrait dans un vieux dictionnaire ... et j'en étais resté bouche bée.

Souvent Antonio, le plus vieux, devait aller à Madrid pour ses affaires. Juan, le plus jeune, étudiait. Alors, j’en profitais pour sortir me promener avec Mari-Carmen. Une fille superbe... Elle avait la peau blanche, du pur albâtre, les cheveux noirs comme de l'ébène, les yeux plus verts que des émeraudes, le nez presque aquilin, typiquement ibérique, les aisselles sans épiler (comme c'était la mode et comme je les adore toujours depuis) et son parfum fantastique, presque naturel, qui rappelait une odeur de forêt humide... Évidemment, nous n'allions pas aux fameux "monuments" mais à des thés dansants innocents dans une boîte ostensiblement appelée "Las Vegas". C'est avec elle que j'ai appris à danser le traditionnel "paso-doble" et le populaire "chotis".
JardinillosdeSanRoque2Quelques soirs nous allions aux "Jardinillos de San Roque", une boîte plus tellement innocente, mais dangereuse parce qu'il y avait le risque de rencontrer des amis et des personnes connues. C'est à cause de cela qu'elle m'a montré  pas trop loin de la ville, "Aranjuez", un petit bois très peu fréquenté, idéal, absolument calme et parfaitement bucolique...(une miniature du fameux "Aranjuez" de Madrid). Nous y allions toutes les fois que nous le pouvions et c'est peut être à cause de cela que j'avais fini par identifier les odeurs de son corps avec celles de la nature. C'est comme ça que j'ai appris à parler d'amour en espagnol ... sans savoir -évidemment- que deux de mes futures épouses auraient l'espagnol comme langue maternelle.

Au bout de mes deux premiers mois de séjour à Ségovie, j'étais follement amoureux non seulement de Mari-Carmen mais aussi de la ville. Au point que, pendant longtemps, j'y retournais tous les ans, visiter cette famille qui était devenue presque la mienne. Mari-Carmen s'était mariée avec Carlos, un Catalan, ami d'Antonio, qui l'avait emmenée à Tarragone. Pendant l'un de ces voyages rapides que je faisais à Ségovie, j'étais arrivé le jour de l'enterrement de Don Valeriano. Gerardo était à Paris. Juan faisait son service militaire. Antonio, pour changer, était ivre. Moi, je fus le fils que Doña Agripina n'avait pas eu pour l'accompagner ce jour-là...

Ségovie, pendant des années n'arrêtait pas de me fasciner. J'y avais même emmené deux fois ma première femme, la bolivienne Juanita, en 1967 et 1968, avant la fin de nos études à la Sorbonne, mais ça c'est encore le sujet d'un autre chapitre.

Il était temps de partir. Dès mon arrivée à Madrid, ayant peur de dépenser tout mon argent, j'avais acheté un billet Gibraltar-Patras, sur le transatlantique italien "Vulcania" qui venait de New York. Toutes mes autres visites en Espagne, spécialement à Grenade, en Andalousie, la traversée de la Méditerranée à bord de ce luxueux paquebot, les trois mois de séjour de Gerardo en Grèce, sa mort  quelques années plus tard, dans la ville de El Vendrell de Tarragona, en Catalogne, feront un autre chapitre (plus ou moins triste) de ma vie .

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Commentaires
D
Finalement, sur ce Blog, tout le monde devient un peu trop sensible à mon goût: Villon, Belemin, toi, moi ... En attendant les réactions des amis sur mes "pyRAMides" et pour atténuer un peu le climat, je prépare un texte tout à fait poilant sur une petite aventure qui m'était survenue en Angleterre. <br /> Je profite de l'occasion pour te remercier publiquement de tes éloges. Je n'en mérite pas tant.
D
Tu texto me dejó boquiabierto! Hacía tiempo que no sentía tanta sensibilidad ...<br /> Je traduis et je continue en français: Ton texte m'a laissé bouche bée. Il y a longtemps que je ne sentais pas tant de sensibilité ... En tant qu'Espagnol, tu dois connaître la chanson de Joan Manoel Serrat: "Yo nací en el Mediterraneo" (Je suis né à la Méditerranée). En tant qu'étudiant du français, tu dois aussi connaître "Le Métèque" de mon compatriote Georges Moustaki. Des citoyens du monde, de la diaspora, des cosmopolites, on en trouve un tas. Je me permettrais donc de frapper (dans le sens espagnol de acuñar) ici, deux mots, des néologismes (à l'intention du Garde-mots aussi): "cardiopolite", serait le citoyen du coeur; "philopolite", serait le citoyen de l'amitié.
C
Belemin je crois que vous avez capté notre homme et sa sensibilité. Lorsque je parle de sensibilité, je fais référence aux cinq sens auxquels je rajouterais celui du coeur. Il ne voit pas, il regarde, il n'entends pas, il écoute, il ne sens pas, il hume, il ne touche pas, il caresse, il ne goute pas, il savoure. Rajoutez à cela, une mémoire d'éléphant et un coeur d'or et vous avez un DINO ;-)<br /> Demain, un nouveau texte de DINO, à ne rater sous aucun prétexte, qui nous emmène au coeur des PyRAMides ;-)
B
Je crois, et Dino l´a pu lire jadis, que le texte Segovia a été écrit par quelqu´un qui écrit de son coeur: Dino y a exprimé ce qu´il a vécu. Les feux d´artifice n´y trouvent pas sa place. Son recit a la valeur de la précision. Il ne raconte pas de batailles: il nous montre ses souvenirs, des morceaux de sa vie.<br /> <br /> Je pense aussi, comme Víctor Villon, qu´il a compris mieux l´insitution sociale de la taberna, cet endroit où, en Espagne, on bavarde, on fait des affaires, on trouve les amis, on vit ensemble. <br /> <br /> Et il a resté frappé par la valeur de celle famille- là d´il y a quelques décades, comme il l´a connue en Espagne d´alors: celle de son ami de Segovia. Ce sont, comme Victor Villon l´a dit, des traits communs des gens méditerranéens. <br /> <br /> Aujourd´hui, ce portrait de famille, si traditionelle, a changé (en Espagne aussi). Même le pays a beaucoup changé (en mieux, je pense). Mais Dino nous a donné, loin de la typique "españolada", de quelques coups de pinceau, un fidèle tableau de l´Espagne de cettes annés- là, qui continuait à être comme ça une dizaine d´annés plus tard, pendant mon enfance.<br /> <br /> Résumé: à mon avis, ce grec greffé en Brésil, qui a vecu sur autant de pays, reconnait comme sa patrie surtout l´amitié.
D
Obrigado, Villon. Fico muito contente de receber você no meu Blog. Volte sempre.<br /> Merci, Villon. Je suis très content de te recevoir sur mon Blog. Reviens toujours.<br /> <br /> Merci aussi pour tes bonnes paroles. Je ne fais qu'un éffort de rassembler mes souvenirs qui éventuellement intéresseraient mes amis.<br /> La dénomination "Mare Nostrum" fût inventée par les habitants du sud de l'Italie qui, à l'époque, s'appelait "Magna Grecia". Quant à ma ville natale Alexandrie et l'Égypte en général, je prepare un texte à paraître bientôt ici même.
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